[Daphnis et Chloé] Dans le décor - Thierry des Ouches

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Messagede Xaneaze » Dim 17 Mai 2015 20:08

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« Dans le décor » est le dernier roman de Thierry des Ouches aux éditions Daphnis & Chloé. On connaît l’auteur grâce à « Martin de la Brochette », un délicieux ouvrage. Voici un livre qui vous fera passer un agréable moment avec un sujet intéressant et riche en réflexion. Une œuvre qui ne laisse pas indifférent. On pourra y trouver plusieurs pistes de lecture.

Dans cette histoire, Thomas, un jeune musicien, est éperdument amoureux de Caroline. Dans l’insouciance de leur amour, après une magnifique journée, les deux amants se promettent l’amour éternel : « Leurs certitudes étaient basées sur des mensonges ». Après avoir abusé de tous les excès caractéristiques de la jeunesse et dans un virage tragique, d’amoureux transis, ils se réveillent en amoureux maudits : « Dans un virage sur la corniche, elle s’est à jamais arrêtée ». L’orage d’un avenir improbable a déchiré un ciel promis sans nuages… Tout s’enchaîne rapidement, la panique prend le dessus. Le jeune homme a du mal à assumer la tournure tragique des évènements. Il ne peut regarder sa douce défigurée. Il a toujours des sentiments pour elle mais ne peut pas. Il va lâchement l’abandonner, balayant d’un revers de la main toutes ses belles promesses : « Je construis la cathédrale de mes justifications pour tenter d’expliquer l’infamie de mon comportement, faisant notamment mine d’ignorer que l’on peut être jeune, mais assumer ses responsabilités dans une situation comme celle-là ». Désespéré, il cherche du soutien auprès de ses proches, il est rejeté par tout le monde. Les gens pointent du doigt sa lâcheté et le somme de réagir. Forte tête, il ne changera pas d’avis malgré des remords car il reste amoureux d’elle. Il découvre un aspect de sa personnalité peu reluisant qui l’échappait jusqu’alors : « Ce n’est pas de Caroline dont j’ai peur, mais bien de moi, de ma bassesse dont je découvre l’étendue et surtout, l’absence de limites. » Rejetant son amour envers sa promise, son père le met dehors. Il en profite pour régler ses comptes avec son père sur sa façon de vivre. L’éducation qu’il a reçu, tous les préceptes de son père sont mis à mal, il rejette tout le pathos familial et s’en va s’émanciper dans la rue tout en continuant à trouver des justifications pour se rassurer et se donner du courage : « J’en suis même arrivé à penser qu’il n’aurait pas toléré que je réussisse professionnellement mieux que lui, ce qui n’aurait pas été difficile et il le sait. Son orgueil ne connaissant aucune limite, que je puisse plus tard lui faire de l’ombre l’aurait achevé. Ce défi ne m’intéresse guère. Toute ma jeunesse, j’ai prié pour ne jamais lui ressembler… ».

« Lâche mais confortable »
Une vie d’errance commence pour lui : « Marche ou crève. Un jour sur deux, je suis attiré par l’une de ces options. » A défaut de vivre dans la culpabilité, il goûte auprès des gens qui ne le connaissent pas, donc qui le ne jugent pas, quelques instants de liberté. En effet, libéré de l’autorité parentale, qu’il n’avait jamais réussi à rejeter, Thomas est à ce jour un autre homme, il va se reconstruire auprès d’autres accidentés de la vie que la providence a mise au ban de la société. Thomas, guitariste bluesy, va rencontrer Django et Gad qui vont l’accueillir dans leur formation musicale de blues. Ils acceptent de l’héberger dans « le château ». C’est une copropriété où les individus vivent dans une idée commune de liberté et de création. Il comprend que l’on peut voir la vie différemment. Django va devenir le mentor du héros comme un deuxième père, il comprend la situation du jeune et va l’aider à se reconstruire pendant deux belles années. Devenant manager du groupe en plus de jouer, le trio blues écume les bars et enchaîne les concerts. Thomas, belle gueule, ne laisse pas indifférent les jeunes groupies mais malgré tout, il n’arrive pas à oublier Caroline… : « Mais leur féminité, leurs jeux de séduction, me remettent sans cesse Caroline en mémoire. »

« J’aurai l’impression d’être le sinistre héros d’une caméra cachée »

Lors d’une rencontre avec un producteur de cinéma, sa vie va basculer une deuxième fois. En effet, une nouvelle histoire débute dans le livre et vient apporter un souffle nouveau sur le roman. Sa carrière se lance par le biais d’un film qui comporte beaucoup d’analogies avec son vécu. Écorché vif, il crève l’écran. Tout le monde est bouleversé par la qualité de sa prestation. Il y met ses tripes mais ne croit pas vraiment en cette destinée, sa lâcheté de jeunesse continue de le hanter car il aime toujours Caroline et fantasme des probables retrouvailles. De l’eau a coulé sous les ponts, devenu une superstar, Thomas comprend qu’une vie simple auprès de sa douce vaut mieux qu’une vie creuse malgré les paillettes : « Car qu’est-ce que cherche un homme ? A vivre calme et heureux, à faire tout ce qu’il veut sans en être empêché et sans y être contraint » (Épictète). Il va donc chercher à joindre Caroline…

Avec ce livre, Thierry des Ouches signe un magnifique roman avec une très belle écriture. Le style est clair et concis et se lit agréablement bien. Encore une fois, Daphnis et Chloé nous propose un vrai page-turner dont on a du mal à décrocher. Les descriptions présentes dans les différentes phases du livre sont vraiment bien travaillées et viennent idéalement servir l’histoire qui se déroule à toute vitesse. L’auteur a soigné les ambiances dans le livre et propose au lecteur une véritable immersion dans les strates que Thomas va découvrir. De la rue au yacht, on a le sentiment d’être le témoin privilégié des péripéties du héros.

Les différents mouvements du roman nous permettent de rencontrer des personnages venant d’horizons lointains. On passe d’un extrême à l’autre mais toujours avec cette idée de valeur. L’auteur nous parle d’hommes et de femmes qui malgré leurs multiples facettes ne se mentent pas et acceptent leurs conditions. Dans cette logique, Thomas tranche avec les autres, c’est un écorché vif qui a du mal à trouver sa place. L’idée du mérite est un thème récurrent car le fardeau qu’il porte est harassant. Il considère que son parcours n’est qu’une imposture car à la base, un évènement honteux et secret en est la base. Preuve en est qu’il n’arrive pas à se regarder à l’écran, il se déteste.

On peut saluer le travail du romancier qui tout au long du récit décrit une palette de sentiments qui rendent le héros vraiment attachant. Thierry des Ouches a modifié les noms de famille de certains personnages qui sont facilement reconnaissables tellement ils sont dans la caricature de leur rôle. Cela apporte une légère touche humoristique qui est assez agréable. Cela permet aussi de renforcer la véracité de l’histoire et de nous plonger encore plus dans les méandres du drame que vit le héros. Cet effet de détournement d’attention adoucit le caractère de Thomas et permet de trouver une forme d’équilibre entre le lecteur et le protagoniste principal. Le tournage du film va permettre au héros de s’émanciper de sa condition en incarnant le premier rôle du film. Dans cette forme de schizophrénie, le naturel revient au galop et Caroline est toujours présente dans ses pensées. Elle est le fil rouge qui l’empêche finalement de définitivement sombrer dans le personnage sombre du film qu’il joue.

L’action est haletante dans ce roman, il n’y a pas de temps mort. Tout est nerveux à l’image du jeune héros. Les actions s’enchaînent et le bouleversent. Comme lui, nous enchaînons les évènements dans une spirale infernale. La rapidité des actions nous grisent et le lecteur ne peut s’empêcher ainsi de tourner la page pour connaître la suite. La trame est haletante et il est difficile de décrocher de l’histoire. Cette histoire vous tiendra en haleine car on ne peut s’empêcher de se poser la question : « Qu’aurais-je fait à sa place ? ». Notre position change tout au long du récit, tantôt on le rejette, tantôt on lui trouve des circonstances atténuantes. Comme vous l’aurez constaté, la plume de Thierry des Ouches vient magnifiquement illustrer cette histoire. Le talent de l’auteur est indéniable dans ce registre.

Peut-on promettre des sentiments ?
La question plane sur tout ce livre et peut être une piste de lecture du roman. Le jeune couple ne s’est il pas mépris ? Est-il possible de promettre à quelqu’un de l’aimer toujours ? Est-il en notre pouvoir de formuler une promesse qui concerne des sentiments ? Avons-nous du pouvoir sur nos sentiments ?
Si l’on se base sur Nietzsche, celui-ci nous dit que non, on ne peut pas promettre des sentiments car ceux-ci sont involontaires. En revanche, on peut promettre des actions, chose inexistante chez Thomas vis à vis de sa douce. Avoir de la répulsion pour quelqu’un n’est pas un acte moral ou immoral. Dans ce livre, des sentiments positifs deviennent négatifs. Si la promesse des sentiments est impossible, n’oublions pas que l’on peut réaliser des actions qui sont ordinairement les conséquences des sentiments qui peuvent être effectuées et donc promises si les sentiments viennent à défaillir. Toujours selon Nietzsche, on peut éduquer les sentiments mais Thomas dans son éducation a eu de grosses lacunes notamment à cause de la main mise de son père, de la dictature qu’il fait régner à la maison.

Une certaine idée du bonheur…

La quête du bonheur et de la plénitude peut être un axe du livre. Le bonheur est exclu de la vie si l’on veut en faire une performance, un idéal à l’image du destin que les deux tourtereaux se voient accomplir. En se basant sur Kant, on peut dire que puisque nous sommes tous différents, l’idéal du bonheur d’un individu n’est pas l’idéal du bonheur de l’autre. Ainsi, Thomas et Caroline n’ont plus la même vision des choses concernant ce bonheur élaboré ensemble. Ce qui fait du bonheur un idéal, c’est la dignité qu’on y ajoute, il faut se rendre digne du bonheur que l’on éprouve et Thomas a du mal a géré sa situation car il se sent comme un imposteur. De surcroît, le bonheur s’inscrit dans la durée, on le construit. Croire dans le simple fait que le bonheur réside dans un évènement qui peut arriver est faux sur le plan moral car cela impliquerait que certains ne pourraient jamais le connaître. On peut avoir l’idée que le bonheur se réalise dans le temps et doit être à portée de main. Il ne doit pas glisser dans un futur illusoire avec des promesses de lendemains qui chantent (Épictète)

Pour conclure, nous avons un excellent roman qui flirte par son thème et sa structure avec les codes du cinéma. L’auteur a fait un excellent travail dans l’équilibre du livre. Le dénouement est magistral. Si vous aimez les romans qui comportent des ruptures dans le rythme alors lancez-vous dans cette lecture. Vous passerez un agréable moment et vous aurez du mal à décrocher. Je l’ai lu très rapidement et je suis resté très attaché au héros (ou anti-héros) qui dans sa complexité révèle une fragilité déconcertante. Le thème abordé nous renvoie une réflexion sur notre propre condition. Dépêchez-vous de vous le procurer !

Titre : Dans le décor

Auteur : Thierry des Ouches

Éditeur : Daphnis et Chloé

ISBN : 979-10-253-0022-0
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Dark Hors ligne


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Messagede Dark » Lun 18 Mai 2015 00:56

;)



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