Nietzsche et le bouddhisme CONCHE MARCEL

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Nietzsche et le bouddhisme CONCHE MARCEL
Dark Hors ligne


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Messagede Dark » Ven 25 Jan 2013 20:32

CONCHE MARCEL

Aime, la philosophie, Nietzsche le bouddhisme, les eurasiennes et la Corse

Donc j aime.. Conche.

A VOUS DE LE DECOUVRIR SI CELA N’EST DEJA FAIT

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Nietzsche le bouddhisme

Au début du XIXe siècle, l'Europe découvrit le bouddhisme, et bientôt les textes bouddhistes parurent mériter l'attention des philosophes

Lesquels écrivirent et épiloguèrent sur le chemin bouddhique et son but ultime
Le nirvâna.

Mais comme ils échouèrent à s'en faire une idée positive - car le nirvâna suppose l'expérience sui generis de la vie allégée de toute souffrance

Ils l'interprétèrent comme néant.

Le bouddhisme était un nihilisme.

Ainsi le voient Hegel, Cousin, Renan, Schopenhauer, Gobineau, et Nietzsche avec eux.

Mais tandis que les uns (les chrétiens) s'offusquent d'une sagesse d'anéantissement, que d'autres, tel Schopenhauer, y voient avec faveur la confirmation de leur pessimisme

Nietzsche lui oppose une sagesse néo-païenne, dite «tragique».

Si «tout est souffrance», comme le veut Bouddha, nier la souffrance, c'est nier la vie

La sagesse tragique implique la «volonté de souffrir»

Non, certes, que souffrir soit bon en soi

Mais, parce que, sans la souffrance, rien de grand ne se fait



2010 Roland JACCARD.


Quand j’ai appris à Nicolas Grimaldi que Marcel Conche quittait, à près de quatre-vingt-dix ans, sa maison de Treffort pour la Corse et une belle Eurasienne, il s’est exclamé, admiratif : « Mais c’est comme s’il s’engageait dans la Légion ! »


Emilie, la belle Eurasienne, décidera du jour de la mort de Marcel. Elle a déjà prévu l’emplacement de la tombe. Tous les jours, lui a-t-elle promis, elle viendra lui tenir compagnie.

Du coup, je me suis souvenu de la lettre que Marcel m’avait envoyée dix ans auparavant, après la mort de sa femme : « J’ai perdu ma femme au début du mois, le 5 exactement (elle a beaucoup souffert les derniers jours, les médecins étant, malgré mon insistance et ma colère, réticents à lui donner de la morphine) et, depuis, j’incline à penser que la place vide qu’il y a auprès d’elle dans la concession que j’ai au cimetière d’Altilac (Corrèze), ne saurait tarder trop longtemps à être occupée. Mon regret est, dans cette circonstance, de ne pouvoir entendre Catherine, ma fille spirituelle, que vous connaissez, lire sur ma tombe les passages d’Homère que j’ai choisis. »

La place restera vide et ce n’est pas Homère que lira Emilie, la jeune Vietnamienne, mais Lao-Tseu. A moins que Marcel ne nous réserve encore d’autres surprises.

La surprise, un an plus tard, c’est qu’Emilie ne supporte plus la présence de Marcel. Plus de tombe dans son oliveraie. Adieu Clotilde de Vaux et Auguste Comte ! Il serait prêt à tout pour elle, mais elle ne veut plus rien de lui. Elle me le dépeint comme un colérique exténuant d’égoïsme. Elle refuse que son nom soit mentionné dans Le Journal étrange, hymne à leur amour. Elle s’est éprise d’un jeune Italien et m’explique froidement que la psychologie de la femme mariée – elle compte l’épouser – diffère radicalement de celle de la femme livre. Elle tourne la page. Adieu Marcel Conche er son complice, Noël, le berger corse. Je conseille à Marcel la lecture de l’essai sur les femmes de Schopenhauer. Il est plongé dans Agatha Christie et me demande si elle n’a pas raison quand elle écrit que toutes les femmes sont des démons. Je confirme. Il rit en songeant qu’il a tout faux sur les femmes et l’amour. Il a hâte de fuir la Corse. Pour le distraire, je lui demande de commenter pour un magazine philosophique un entretien avec Brigitte Bardot. Elle déclare que si elle avait une erreur à corriger, ce serait celle d’être née. Marcel accepte. Après tout, pourquoi ne finirait-il pas ses jours à la Madrague ?

Lorsque je demande à Marcel Conche si cela ne le gêne pas que je parle sur un ton légèrement sarcastique des dispositions successives qu’il a prises pour ses funérailles, il m’assure que non. Précisant, malgré tout, qu’il n’est pas encore mort.

Depuis qui a regagné la maison de son enfance à Altilac, il souhaite qu’à son enterrement – purement civil, cela va de soi –, il n’y ait ni discours, ni chants religieux, mais des mélodies corses, les plus tristes possibles, précise-t-il. Et qu’on lise des lettres d’Emilie. La dernière surtout, envoyée à Noël, et qu’il n’a pas reprise dans Corsica. Il considère Corsica comme leur enfant spirituel – donc immortel –, contrairement à celui que s’apprête à mettre au monde Emilie – enfant naturel voué à la mort. Il le lui écrira, mais pas en ces termes, conclut-il d’un ton enjoué.


« Nous connaissons tous l’amour absolu, mythique de Nerval pour Jenny Colon. Avec Marcel Conche, nous vivons cet amour-là, cet amour-ci, qui dépasse peut-être son objet mais dans le bon sens, et le vivons dans notre monde à nous et ses décors quotidiens : Corse actuelle, petite voiture, repas au restaurant, plantations d’oliviers d’Émilie. Et quel courage pour cet immense esprit de se dire amoureux, si je calcule bien, à 85 ans d’une jeune Eurasienne corse d’une trentaine d’années et d’en faire une dure, énigmatique, fascinante, philosophique, poétique déesse grecque ! Quel honneur aussi pour l’éditeur d’avoir pu et su publier ce frugal, cet ardent fragment de journal (supérieurement conçu et douloureusement élaboré) dans son quasi-cercle d’oliviers du Revest-les-Eaux !»
Note sur le silence d'Émilie/ J.-C. Grosse

Note sur le silence d'Émilie








Je ne connais pas Émilie. Je ne connais que ses lettres à Marcel Conche, publiées dans Confession d’un philosophe et dans le Journal étrange. Je ne saurais pas dire mieux que lui ce que ces lettres peuvent provoquer en quelqu’un prêt à les accueillir.
Elles portent la puissance étrange des écrits mystiques ou poétiques, quand il s’agit de poésie métaphysique. Ce n’est pas une voix qui parle, c’est une voix habitée, inspirée qui exprime. Cette puissance peut se livrer par des mots écrits, des mots dits, des voix, des regards, des élans, des abandons, des suspens, des caresses, des contacts d’algues pour bonheurs d’épure et d’éternité, quand c’est l’être de l’autre qui s’exprime, quand l’autre est traversé par l’Autre ou pour employer un mot de Marcel Conche, par le sacré.
Je connais le philosophe et l’écrivain plus que l’homme. J’ai été très en empathie avec l’aventure (j’emploie le mot parce qu’il l’emploie, hors toute signification de passade) qu’il a vécue avec Émilie. Et le silence d’Émilie (en fait, il y en a eu deux ; c’est le second qui m’intéresse) mérite qu’on s’interroge. Marcel Conche dans Le Silence d’Émilie, tente de l’élucider et de définir une attitude par rapport à une Émilie durablement silencieuse.
C’est ce silence que je veux interroger, même si je suis moins bien placé pour en parler que l’écrivain.

Toutes nos tentatives de l’expliquer sont vouées à l’échec. Manque la parole de l’autre qui seule pourrait nous dire quelle version, quelle interprétation est la bonne, en quoi toutes sont fausses, sans nous révéler la vraie, ou partielles, sans nous dévoiler le fin mot de cette fin. Nos tentatives pour comprendre sont-elles vaines ? Par rapport à la vérité, oui. Mais elles nous mobilisent, provoquent une intense activité intellectuelle, affective qui nous amène sans doute très près de l’autre, à notre insu et qui aussi nous change. Ce silence qui nous est imposé, qui fait souffrir est aussi douloureusement formateur. Il aiguise nos sens, nos intuitions, il fait sentir, anticiper, il nous met en alerte sur tous les événements d’hier, sur ce qui pourrait faire bouger l’autre, (en réalité, l’autre est en mouvement, mais nous n’en savons rien) aujourd’hui ou demain, le faire sortir de son silence. Nous voici mettant sous la loupe, chaque moment, tel regard, tel mot, telle intonation, tel geste. Ce qui a eu lieu, et pour toujours, revit avec une intensité nouvelle, avec nos mots, nos interrogations, nos certitudes, nos doutes, nos approximations. Et aussi ce qui n’a pas encore eu lieu et qu’on souhaite, dont on rêve.

Deux voies nous sont possibles, en réponse à ce silence, celle du ressentiment, commune, celle de l’élévation, plus rare. Cette seconde voie, comme le montre bien Marcel Conche, nous tire vers le haut parce que nous finissons par reconnaître que l’intuition initiale, l’élan initial, le mouvement d’amour initial était juste. Non, on ne s’était pas trompé sur la qualité, l’excellence de l’être de l’autre. Autrement dit, les péripéties qui ont conduit l’autre au silence, les fautes de l’un et de l’autre, les maladresses plutôt, cela finit par ne plus peser : l’aventure se termine comme elle a commencé, par l’assurance que cette rencontre était une chance, un don, un moment de beauté. Et par la reconduction de l’amour inconditionnel pour la silencieuse.
La marque de cette élévation est dans l’acceptation de la souffrance pour soi et dans la volonté de bonheur de l’autre. L’amour est devenu don sans contrepartie. Il est devenu sublime, parce que sublimé. Ce qui a provoqué l’attirance, et qui est érotique, n’exige plus satisfaction immédiate avec tous les jeux de séduction, de domination pour atteindre ce but. L’attirance transformée par la volonté, en amical amour, donne des œuvres de l’esprit. Corsica. Le Silence d’Émilie.

Mais ce silence même. Aussi radical, aussi assourdissant, venu de jeunes filles ou de jeunes femmes, sauvages, douces et violentes, passionnées et réservées, il nous impose le respect, on doit le respecter comme tel, dans son opacité, son énigme.
Ce silence n’est pas mutisme. Ce silence s’est imposé à ces jeunes filles, jeunes femmes parce que les mots leur manquaient, parce qu’elles étaient débordées, envahies par quelque force irrésistible et inquiétante. Il y a toujours une dimension inquiétante quand on est traversé par l’amour, le puissant amour, se subordonnant la sexualité. À moins que ce ne soit l’inverse comme le voudrait Schopenhauer. Ce qui les dépasse, les traverse, s’appelle l’espèce, sa survie, sa succession, la génération, la Vie. Dit autrement, selon la métaphysique naturaliste de Marcel Conche, ce qui les traverse, c’est la Nature infinie, créatrice, éternelle, germinative.

La religion d’Émilie, quand elle s’exprimait en mots écrits, était dans sa capacité à percevoir, à recevoir l’infini à l’œuvre dans tout être fini, dans toute apparence. Émilie confirmait la métaphysique de Marcel Conche. Quelqu’un recevait, concevait comme lui, avec d’autres mots, l’infinie puissance créatrice de la Nature. Il n’était plus menacé de solipsisme, ce qui ne le gênait guère, la recherche de la vérité étant son seul but comme philosophe. Les voilà deux, donnant vie à des œuvres de l’esprit et le cœur des deux amants-amis, unis par l’amical amour, est le creuset de cette création. Pour Marcel Conche, la rencontre d’Émilie l’a conduit à élaborer la religion pour notre temps et notre monde, la religion universelle de l’amour inconditionnel pour autrui, dans La Voie certaine vers « Dieu ». Et à poser la Bonté de la Nature donc celle de l'homme et de la femme.

Pour Émilie, le cheminement est différent. Les voilà deux, elle et son Hector, donnant la vie à des œuvres de chair et le corps de la femme est le lieu de cette procréation.
Il me semble que cette dichotomie entre enfants de la chair et enfants de l’esprit est à l’origine du silence radical de ces femmes traversées par la Vie, qu’elles accueillent, offertes, donneuses, médiatrices. Les mots pour autrui sont superflus. Pas les mots pour l’enfant à naître, qui ne se partagent pas. Quand le grand mystère de l’onto et de la phylogenèse est en vue, on s’y prépare, on se recueille.
La spéculation métaphysique sur l’apeiron et le gonimon, œuvre de l’esprit, ne peut être équivalente à l’œuvre de chair, même si celle-ci est de mieux en mieux appréhendée, comprise, prise en compte par sciences et techniques médicales. L’œuvre de l’esprit est intelligible, compréhensible. L’œuvre de chair reste et restera pour longtemps une énigme, un mystère, relevant du sacré.
Il y a, me semble-t-il une irréductibilité du corps qui interdit de croire à une éventuelle supériorité de l’esprit sur lui comme à une éventuelle maîtrise de lui par sciences et techniques. Tous les discours, comportementalistes, psychanalytiques, me semblent passer à côté de l’obésité, de l’anorexie, de la dépression comme de la grossesse et de l’accouchement. Seule, la parole du sujet me semble porteuse de sens sur ce que vit son corps quand cette parole peut se libérer.
Et seuls, le cœur et l’écriture peuvent éventuellement, pour certains, dans certaines circonstances, l’amour, l’amour d’amitié ou l’amical amour, amor amicitiae, (c’est le cas de Marcel Conche) franchir la distance, se joindre à l’autre comme corps insaisissable, inconnaissable. Paradoxalement, le silence d’Émilie fait faire à Marcel Conche, l’expérience, à distance, par la pensée, le cœur, du plus palpable impalpable, le corps de l’autre, un corps habité par un enfant à naître, création de la puissance créatrice de la Vie. Quand on sait la relative indifférence de Marcel Conche pour son corps (il le respecte par une vie saine, sobre, il sait se soigner comme il se doit et quand il faut pour être en paix du côté des organes afin d’être libéré des contingences corporelles et pouvoir s’occuper de la seule chose qui l’intéresse : la recherche de la vérité sur le Tout de la réalité) l’expérience quasi-physique à laquelle il est convié n’est pas anodine et sans doute Marcel Conche ira-t-il ailleurs que sur la voie de l’amour inconditionnel pour Émilie. Son hostilité de principe à l’avortement comme son intérêt métaphysique pour le clonage sont déjà le signe de cette ouverture et de cet accueil.
Les cœurs, les âmes ont moins de mal à se rejoindre, à se joindre, à œuvrer. La sublimation en est le moyen qui donne parfois du sublime. Nous en avons la preuve avec ce qui a été publié.
Les esprits peuvent dialoguer, se mettre d’accord entre eux. Cela suffit à fonder selon Marcel Conche la morale universelle, celle des droits universels de l’homme. C’était bien avant la rencontre d’Émilie.

Quand elles ont répondu à cet appel, si elles rompent le silence, ces jeunes femmes peuvent produire des paroles sublimes, inaccessibles de façon sensible à l’homme, même avec la plus intense empathie.
Émilie a donné naissance à une fille qu’elle a prénommée Théa, Déesse. Or, c’est par ce terme que Marcel Conche désigne Émilie dans son Journal étrange. En quoi l’on voit l’influence manifeste de Marcel Conche sur Émilie. Mais cette influence, Émilie en fait un usage tout personnel : elle transmet à sa fille, le témoin, le témoignage. Elle dit dans son silence qu’elle donne au meilleur d’elle-même, sa fille, le meilleur de leur relation, ce que Marcel Conche a appelé la religion d’Émilie.
Sachons attendre les éventuelles paroles sublimes d’Émilie qui par son silence n’a pas déchu de son statut de déesse poétique pour devenir femme, mère et simple mortelle prosaïque. Elle reste déesse. Elle est devenue déesse-mère.
Sachons attendre aussi les paroles sublimes de Marcel Conche sur le mystère de la grossesse et de l’accouchement, le mystère de l’enfantement, mystère réservée aux femmes. C’est un autre mystère que la grâce des jeunes femmes auquel Marcel Conche a été et est si sensible. Avec Émilie, il fut confronté au mystère du pur amour, sur lequel il avait écrit mais qu’il n’avait pas vécu. Avec le silence d’Émilie, il est confronté au mystère de la femme.

Jean-Claude Grosse


Corsica, Journal étrange V/Marcel Conche

Corsica,
tome V du Journal étrange
de Marcel Conche
aux PUF







Ce dernier tome du Journal étrange devait s’appeler : E. Journal étrange V.
E. est devenue Emilienne et le livre, prévu à un moment donné en édition clandestine, pour l’honneur de Marcel Conche, tradition corse oblige, sort en édition publique sous le titre : Corsica.
Je trouve que ce titre convient très bien à ce journal qui rend compte du séjour corse de Marcel Conche entre juillet 2008 et juillet 2009. Le Journal s’arrête le 30 mars 2009.
A Treffort, je lui avais rendu visite 3 ou 4 fois pour discuter de sa philosophie. Je suis allé en Suisse filmer sa conférence sur la Beauté, à Toulouse filmer sa conférence sur La voie certaine vers « Dieu ». Je n’ai pas voulu aller le voir en Corse, considérant que son choix de vivre près d’Emilienne était si profond que je n’avais pas à le déranger.
Depuis juillet 2009, Marcel Conche est allé s’installer à Altillac, en Corréze, dans la maison natale, où je suis allé déjà deux fois. Mais il n’exclut pas la possibilité de revenir en Corse, tant l’île de Beauté convient à son âme. La Corse, ses paysages, ses habitants, ne sont pas omniprésents dans le livre mais les considérations sur l’âme corse comme la dédicace à Natale sont suffisamment explicites : Marcel Conche est tombé amoureux de la Corse, moins comme terre particulière que comme visage de la Nature, expression de valeurs qui lui sont essentielles : fierté, honneur, amitié, vérité, clarté, singularité…Et puis surtout, c’est au temenos, le lieu sacré, que vit Emilienne, l’aimée infiniment.

Dans ce Journal, Marcel Conche nous balade dans l’âme grecque et dans celle d’Emilienne. Le monde actuel est relativement absent : notre temps ne convient pas à Marcel Conche. Il met le maximum de distance entre lui, Emilienne et notre époque, ses « valeurs », inessentielles. Mais quand il parle de l’actualité, celle qui fait mal, qui tue, comme l’opération « Plomb durci » à Gaza, il n’a pas de mots assez durs ni de questions assez dérangeantes pour en parler, « quelle différence entre le général thébain Epaminondas et les généraux de Tsahal ! quel recul de l’humanité depuis les Grecs ! qui est responsable : le Dieu inhumain de la Bible ? » (p.488). Evidemment, comme pour lui, le devenir de la raison philosophique est grec, on ne sera pas surpris de le voir mettre ses lectures d’auteurs très anciens (que plus personne ne lit) au service de sa conviction. Et cette distanciation inactuelle peut être particulièrement stimulante en nous rendant proches, nécessaires (ça demande tout de même un effort) nos fondations et racines grecques (trop facile de les invoquer sans les connaître et les intérioriser) et, étrangers, obsolètes, nos habitats et habitus occidentaux. Marcel Conche sait qu’il nous dépayse pour nous faire toucher à l’universel comme le faisait Lévi-Strauss, celui-ci en étudiant les Bororo, Nambikwara, Caduveo, celui-là en nous plongeant dans la matrice grecque (« replongeant » signifierait que nous n’avons qu’oublié les Grecs, « plongeant » parce qu’ils nous sont devenus inconnus). Mais il n’a pas le souci pédagogique de nous convaincre. Il dit ce qui pour lui est vrai. A nous d’en faire, si nous le pouvons et voulons, le meilleur usage possible. Il revendique trop sa solitude, condition de la recherche de la vérité sur le Tout de la réalité pour vouloir se comporter comme Socrate, philosophe social, au milieu des Athéniens, voulant les rendre meilleurs : tel n’est pas son but. Les auteurs très anciens convoqués paraissent faits pour aujourd’hui, pour quelques hommes et femmes d’aujourd’hui, pas pour les nombreux. Y a t-il du mépris pour eux ? Je ne le pense pas. Ce qui intéresse Marcel, c’est la recherche de la Vérité, recherche solitaire (aucun dialogue n’y conduit même s’il dialogue, dispute beaucoup avec Héraclite, Parménide, Socrate, Aristote, Montaigne, Comte, Nietzsche) et le souci d’éduquer les autres n’est pas le sien en tant que philosophe mais l’homme, Marcel, a des égards, des attentions pour quelques-uns d’entre eux, d’entre elles surtout mais pas exclusivement (voir les belles pages sobres et émouvantes sur André Doremus, p.321, 341).

Emilienne occupe l’essentiel de ce journal. Ou plutôt l’effort de Marcel pour la comprendre dans son essence, sa singularité, sa foi, sa religion. M’aide t-il à la comprendre ? Quand il fait des comparaisons entre Emilienne et d’autres, se servant de sa raison, de sa capacité à cerner points communs et différences, par exemple avec Marceau, sa mère, décédée à sa naissance d’où des conséquences à vie, et qu’en esprit, il préfère à Emilienne, il me met sur la voie.
Mais je dois dire aussi mon embarras. A quoi est-il dû ? Pour parler de cet amour mystique, éminemment complexe car Emilienne l’est, Marcel l’est (même s’il fait le choix de la simplicité dans la vie quotidienne, comme dans l’écriture qui se veut limpide et comprise par le plus grand nombre), il a choisi la forme journal, presque au jour le jour et ce qui vaut tel jour ne vaut pas nécessairement pour l’autre. C’est-à-dire que j’ai du mal à suivre au jour le jour ce que vit, éprouve Marcel comme ce que vit, éprouve Emilienne vue, racontée par Marcel. Je pense que écrivant, pour lui, pour elle, au jour le jour, pour mettre au clair, tirer au clair car il communique à Emilienne telle ou telle page, sa pudeur, sa prudence, sa peur de ne pas la blesser (pour lui, c’est différent, il supporte par amour les souffrances venues d’elle, voulues ou « accidentelles ») le conduisent à hésiter sur les mots, les formules à utiliser, (il se dit par exemple à un moment donné « un tantinet amoureux » pour reprendre une expression d’Emilienne) pour tenter de dire juste, vrai, sans embellir, sans faire de la littérature comme il se le reproche par rapport à Marie-Noëlle, le 9 février 2009, p.521 (ce qui était vrai en 2006 ne l’était plus après le 22 février 2007, après le coup de téléphone d’Emilienne, après plusieurs années de silence ou presque). J’ai été amené à me demander : et si ce qu’il dit d’Emilienne devenait aussi de la littérature. Disons-le autrement : la vie est mouvement, leur vie, leur amour, leurs sentiments sont en mouvement. Comment dire le changement ? Question qui est celle de Montaigne, écrivain, la résolvant par ajouts, corrections, couches d’écriture. Marcel, comme quiconque usant des mots pour décrire le changeant, la fluence, fige ce qu’il vit. Par contre quand il se situe au niveau des idées, son utilisation du dictionnaire pour justement fixer le sens, est pertinente et convaincante.
Si je compare avec les pages magnifiques d’Analyse de l’amour (PUF, 1999), pages écrites sans doute sans appui sur une expérience vécue, celles-ci me paraissent dire l’idéal d’une relation d’amour parfaite et cela ne me gêne pas, cela même me transporte, me tire vers le haut, contribue peut-être à exhausser mon amour terre à terre pour toi. C’est de la littérature, de la philosophie, ça dit l’idéal de l’amour, ça le dit bien, c’est beau et ça élève.

Dans Analyse de l’amour, 1996, page 14, Marcel Conche écrit :
« Que faut-il entendre par « meilleurs » moments ? ce sont ceux où l’entente dialectique, ayant permis de vérifier l’accord des âmes et des intelligences sur tous les points essentiels qui tiennent à la vision de la vie, conduit enfin à se tenir au-delà de la parole. Ce sera par exemple, le moment, où, l’entente avec elle étant parfaite, on se bornera à prendre le bras de celle que l’on aime et à parcourir avec elle les allées d’une fête foraine au son d’un orchestre de manège. » Et plus loin, développant le rapport pédagogique entre l’aimant, éducateur, et l’aimée, s’autoformant, car éduquer c’est favoriser l’autoformation de l’autre dont on a saisi qu’il avait une disposition à poursuivre notre tâche commencée, dont on a perçu qu’il avait une nature, qu’il était une chance, un don, il dit : « Dis-moi qui tu aimes, je te dirai qui tu es… Ainsi l’amour accompli est celui du générateur et de l’enfant, entendant par « enfant » celui en qui, non par imitation, mais par rencontre et par effet de chance, renaît la même vocation pour le même engagement, pour les mêmes tâches. La mort peut empêcher ce qui se fait de venir à son terme, mais elle ne peut empêcher le recommencement. La mort ne peut rien si l’on aime ce qui vient après soi. » page 18.

Dans ces pages, c’est comme si Marcel anticipait, c’est comme si Emilienne s’annonçait, c’est comme si le pur amour décrit, attendu, allait être créé par leur rencontre, Emilienne prenant l’initiative en 2001 et à nouveau en 2007 pour être éduquée mais paradoxe, c'est Marcel qui s'est autoformé. Une nuance de taille tout de même : le pur amour décrit en 1999 a une dimension d’harmonie qui me semble manquer, en partie du moins, dans la rencontre réelle : il y a des moments d’harmonie mais la relation dans le temps ne l’est pas, due à la démesure d’Emilienne aux colères homériques, aux caprices de Marcel snobant Emilienne…
Dans La voie certaine vers « Dieu », Marcel, sous l’influence décisive d’Emilienne, se hisse jusqu’à la religion universelle pour l’époque de la mondialisation, l’amour inconditionnel pour autrui, pas pour l’Humanité, comme Auguste Comte avec lequel il partage cependant de ne pas vouloir laisser la religion (religare) aux religieux. Là aussi cette religion avec ou sans Dieu, d’où « Dieu », nous hisse au dessus de nos égoïsmes, nous ouvre des perspectives inouïes, peu pratiquées mais enthousiasmantes, pour après-demain.


Dans Corsica, d’un jour à l’autre, les mots changent. Amitié entre eux parce que non réciprocité de la part d’Emilienne. Amour sans désir sexuel de sa part. Mais il y a des chapitres où Marcel parle de la jouissance, dispute avec André Comte-Sponville sur ce sujet. Attentions de sa part à elle qui lui laisse supposer qu’il y a quelque chose comme de l’amour pour lui… Ces péripéties, ces variations d’émotions, de sentiments, de la joie à la tristesse, voire à l’angoisse, évidemment si nous aimons, avons aimé, nous avons connu ou plus exactement vécu.
Marcel amoureux d’Emilienne, de sa beauté corporelle, (et il est content quand ses ami(e)s lui font un retour élogieux sur elle), de son âme communiant avec l’infini, la Beauté, la Bonté de la Nature, traversée par cet infini, cette Bonté, ouverte à cet infini, à cette Beauté-Bonté rejoint la communauté des amoureux, des grands amoureux, n’hésitant pas à bouleverser à 86 ans, (aujourd’hui, il en a 88) ses habitudes, quittant Treffort pour Aléria.
Marcel amoureux perd en partie seulement sa singularité de philosophe exclusivement dévoué à la recherche de la vérité sur le Tout de la réalité, travail acharné rendu possible par une vie simple, presque ascétique, où les obligations comme les plaisirs sont réduits au minimum, usant de sa liberté pour, sur les bases de son jeu initial (fils de paysan…) élaborer une métaphysique de l’apparence absolue puis une métaphysique naturaliste, aboutir à une sagesse tragique intégrant la morale universelle des droits de l’homme et aujourd’hui, la religion universelle de l’amour inconditionnel pour autrui. Dans les discussions qu’il peut avoir avec Emilienne, pas si fréquentes que cela car Emilienne est femme d’action plus encore que de contemplation, il lui arrive cependant d’être aux altitudes qui sont les siennes comme philosophe, qui sont celles d’Emilienne comme mystique.

Corsica s’achève le 30 mars 2009 sur la présentation du rêve de Marcel pour Emilienne qui a trouvé son Hector, son Homme, Ivo. Il les voit, installés au temenos, le lieu sacré, se consacrant aux oliviers, il la voit, femme heureuse avec son homme, dans cette Nature, travaillée par eux, œuvrée par eux, (en aucun cas, maîtres et possesseurs de la nature, projet cartésien qui nous conduit dans le mur), il la voit mère aussi, imaginant même qu’Emilienne le laissera parler des Grecs à son enfant, rêvant aussi de finir ses jours dans la terre du temenos, Emilienne venant se reposer sur un banc de pierre et lui parlant, connaissant de lui, les réponses.
Ce rêve connaîtra t-il le sort du rêve fait en 2006 avec Marie-Noëlle qu’il voyait organisant son inhumation à Altillac ?

En achevant son journal le 30 mars 2009, Marcel termine avec une rare élégance et une immense poésie, le récit de sa rencontre avec Emilienne. Ce n’est pas de lui que nous saurons si cet amour mystique vivra éternellement ou ne sera, comme trop d’amours, même de purs amours, qu’une « eloise dans le cours infini d’une nuict eternelle ». Même « eloise dans le cours infini d’une nuict eternelle », un pur amour, un vrai amour, un amour de partage de l’essentiel, est « une invitation à la valse de la vie » comme il dit à un moment. Tout grand amour, même malheureux, a eu lieu pour l’éternité, traces ou pas. Et en tant que création inédite, inouïe, tout grand amour, même impossible parce que l’âge, l’écart d’âge… ajoute de la beauté, de la bonté à l’Infini qui ne s’en trouve pas pour autant augmenté, modifié. Peu importe.

Merci Marcel.

A Le Revest, le 9 mai 2010,
Jean-Claude Grosse


Aussi




L'Aléatoire
Marcel Conche



La Liberté
Marcel Conche



Orientation philosophique
Essai de déconstruction
Marcel Conche
Le grand texte de philosophie de Conche qui déconstruit la métaphysique traditionnelle, repris d'après l’édition originale (Éditions de Mégare) redonnant accès à tous les articles, rééditant les deux articles supprimés dans l’édition des PUF



Diversités
Journal étrange IV
Marcel Conche
Pensées et confessions d'un épicurien moderne



Ma vie antérieure et le destin de solitude
Marcel Conche
Les souvenirs d'un fils paysan devenu instituteur pour finir professeur de philosophie, spécialiste des présocratiques et membre de l'Académie d'Athènes.



Le sens de la philosophie
Marcel Conche
Pose la question de l'être, question que Descartes a ignorée. Concluant au nihilisme ontologique, M. Conche substitue à la notion d'être, la notion pyrrhonienne d'apparence. Il refuse le nihilisme pratique.



Le destin de solitude
Marcel Conche
La plus grande détresse est celle où l'on voit souffrir et mourir l'être à qui nous liait l'amour.


Antoine Hors ligne


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Messagede Antoine » Sam 26 Jan 2013 12:37

Bon et bien je sais ce qui me reste à découvrir...merci Dark !
Antoine. L'homme est la pièce rapportée de la Nature : il passe son temps à mesurer...


Dark Hors ligne


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Messagede Dark » Sam 26 Jan 2013 13:15

Tu devrais aimer, il veut des funérailles en Corse,avec des chants corses les plus tristes possible

Sur des lectures des lettres d émilie , plus romantique Que ça ...t'es mort :lol:...


Antoine Hors ligne


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Messagede Antoine » Sam 16 Mar 2013 21:50

Nietzsche c'est beau !

http://youtu.be/hJnL4n4qaEQ
Antoine. L'homme est la pièce rapportée de la Nature : il passe son temps à mesurer...


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Messagede Dark » Dim 17 Mar 2013 01:50

Antoine a écrit:
Nietzsche c'est beau !

http://youtu.be/hJnL4n4qaEQ



C'est beau



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