La France Big Brother - Laurent Obertone

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La France Big Brother - Laurent Obertone
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Messagede Xaneaze » Mar 3 Mar 2015 20:38

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Nouveau brûlot dans les mains, livre punch censé bousculer la morale bien-pensante. Après la lecture de « Soumission », je continue de lire les œuvres jugées hérétiques. Obertone est classé d’ores et déjà dans la catégorie des zemmouristes ou autres Houellebecquiens… Il n’y a pas de pensée neutre en France, on est soit pour ou contre. Dans cette enquête, il nous prévient : « La France est un pays où il est plus important d’avoir une opinion sur Homère que d’avoir lu Homère ».
Le dernier roman d’Obertone était Utoya, il nous relatait le parcours assassin de Anders Breivik, le tout à la première personne, cela faisait froid dans le dos.
Ce nouveau livre s’inscrit directement dans la droite lignée de « La France Orange Mécanique ». A la différence de celui-ci, le nouveau est basé sur une dystopie ou anticipation mais qui tend de plus en plus à devenir un futur proche, il s’agit de 1984 de George Orwell. Obertone a bâti son livre en faisant des parallèles entre la France d’aujourd’hui et la société dirigée par le parti Big Brother.
Qu’est-ce que 1984 de George Orwell ? Peut-être que certains ne l’ont pas lu mais en ont entendu parler.
1984 est un roman d’anticipation qui décrit une société où règne une dictature intraitable, où rien n’échappe à Big Brother, nom du pouvoir en place. Il voit tout, entend tout et contrôle tout. Il régit la vie des citoyens, embrigade la jeunesse en les invitant à dénoncer leurs parents en cas de manquement. L’homme n’est plus libre de penser. Le monde est devenu homogène. Tout est effacé et la pensée unique est reine. Voilà, rapidement la base de 1984.
Pour de nombreuses personnes, certains aspects de cette anticipation se ressentent déjà dans notre société actuelle. Laurent Obertone va encore une fois endosser un rôle pour avertir son lecteur. Il va se mettre dans la peau de Big Brother et interpeller « Monsieur Moyen » (cf. celui qui lit). Grâce à une courte lettre d’introduction, l’auteur dresse un constat, en préambule du sujet qui va être traité à chaque chapitre :
« Expéditeur : Big Brother
Destinataire : Monsieur Moyen
C’est arrivé. J’ai décidé de te parler et d’autoriser les miens à te parler. Nous pouvons nous le permettre, nous savons que tu ne réagiras plus. Tout ce que je te dirai sera oublié, comme le reste, dans le bruit de ta petite vie monotone et angoissée. Qui suis-je ? Celui qui te parle, tout le temps, tous les jours. Tu ne subis et n’entends que Moi. Je suis tes médias, tes marchands, tes écrans, tes publicitaires, tes politiciens, tes références, ta mode et ton identité, ton travail et ton savoir, tes loisirs et tes jeux, tes désirs et tes peurs. Tu crois penser, tu crois décider, tu crois choisir ? Rien de ce que tu fais ne t’appartient et tu n’appartiens qu’à Moi. Je conditionne tout. Je contrôle tout. Je t’ai tout appris. C’est Moi qui t’ai dressé. Je suis ton maître. Je suis Big Brother. Je vais t’expliquer ce qui va advenir de toi et des tiens. Je vais te dire toute la vérité et et nous allons faire éclater ton cerveau. Maintenant écoute Moi. »
Obertone considère que l’homme au fil du temps, s’est docilement laissé domestiquer sans s’en rendre compte. Tocqueville au XIXème siècle évoquait déjà ce thème : « Je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs. (Démocratie, II 4.6) Et aussi l’avènement d’une oppression d’un genre nouveau, qui n’est plus despotisme ou tyrannie, mais une « sorte de servitude, réglée, douce et paisible (…), un pouvoir unique, tutélaire, tout-puissant, agissant par un réseau de petites règles compliquées, minutieuses et uniformes qui ne brise pas les volontés, mais il les amollit, les plie et les dirige; il force rarement d’agir, mais il s’oppose sans cesse à ce qu’on agisse; il ne détruit point, il empêche de naître; il ne tyrannise point, il gêne, il comprime, il énerve, il éteint, il hébète, et il réduit enfin chaque nation à n’être plus qu’un troupeau d’animaux timides et industrieux, dont le gouvernement est le berger. » (Démocratie, II 4.6) «
La Boétie traitait déjà l’idée de « servitude douce » : « Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu’il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de la liberté qu’il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu’on dirait à le voir qu’il n’a pas seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude. » (Discours de la servitude volontaire)

L’auteur confirme la déchéance de l’homme en estimant que son instinct et ses réflexes lui ont été soustraits sans qu’il ne se rende compte : « Puisqu’un maître le satisfait en tout, l’animal domestique n’a jamais besoin d’apprendre à se défendre, à chasser, à faire des réserves. Il n’a jamais besoin d’apprendre la tempérance, la méfiance, l’indépendance. Il n’a jamais besoin d’apprendre, tout court. Bref, il n’a jamais besoin de grandir. » On pourrait faire ici un parallèle avec La Boétie : »Disons donc que, si toutes choses deviennent naturelles à l’homme lorsqu’il s’y habitue, seul reste dans sa nature celui qui ne désire que les choses simples et non altérées. Ainsi la première raison de la servitude volontaire, c’est l’habitude ».

L’ego de l’homme est aujourd’hui exacerbé dans une société connectée où tout va vite, Big Brother veille et se charge de donner bonne conscience à tous les riches de la terre via le don. Or La Rochefoucauld nous rappelle que la générosité est une forme déguisée d’amour propre. Sénèque ajoute dans un raisonnement de l’absurde poussé à son paroxysme : « Si c’est l’intérêt et un vil calcul qui me rendent généreux, si je ne suis jamais serviable que pour obtenir en échange un service, je ne ferai pas de bien à celui qui part pour des pays situés sous d’autres cieux, éloignés du mien, qui s’absente pour toujours ; je ne donnerai pas à celui dont la santé est compromise au point qu’il ne lui reste aucun espoir de guérison ; je ne donnerai pas, si moi-même je sens décliner mes forces, car je n’ai plus le temps de rentrer dans mes avances ». Obertone nous donne sa version actualisée : « Tenir une vie entre ses mains, avoir le pouvoir de la sauver, se prendre un instant pour Dieu…Quelle jouissance narcissique. Quel orgasme de l’ego ! ».

Big Brother se charge actuellement de faire taire toutes les langues qui sembleraient suspicieuses au vue de la dictature implicite en cours. Réacs, conservateurs et autres sont vite montrés du doigt sous prétexte de penser différemment. Le constat est sans appel, eux aussi rentreront dans le rang. Pour l’auteur, la société semble se diriger vers un point de non retour où une masse difficilement identifiable, une nébuleuse autoritaire et tentaculaire, donne le sentiment de s’être emparé de notre pouvoir de penser : « Ils feignent de céder moins vite que les autres, alors nous les utilisons comme des épouvantails. Tous sont désabusés car tous ont l’impression de livrer un combat perdu d’avance contre le sens de l’Histoire ».
L’homme actuel n’est plus traité humainement mais sous la forme de matière. On travaille l’humain en créant de toute pièce des icônes d’un jour qui viendront abrutir le terrien lambda : « On peut en instant faire d’un inconnu le référent de millions de personnes ». Les gens normaux étant rendus muets lors de coupes au montage : « Nous projetons leur image, un fragment – choisi – de leur vie, qui sera jeté en pâture à notre public. Et ils seront humiliés à vie ». Big Brother recherche toujours l’intérêt commun en homogénéisant la pensée. Les sujets de fond de la société sont traités aujourd’hui sous la forme d’info-tainement où le buzz est roi au détriment de la vraie information. Le citoyen consomme des « news » souvent vides, en lui donnant toujours ce sentiment d’avoir appris quelque chose, tout en restant dans « la distraction ». L’essentiel passe au travers, le téléspectateur n’y voit que du feu. Big Brother capte l’attention de l’homme en l’abreuvant de coquilles vides : « Si tous les journalistes racontent la même chose, le mensonge devient réalité. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé ». Preuve en est faite avec certains journaux qui publient des communiqués sans vérifier leurs sources.
Big Brother cherche absolument à mettre le cerveau de l’individu en « dérangement », pour cela, il l’abreuve d’images, de stimuli, de connexions. On cherche à surcharger notre esprit pour éviter que l’on puisse penser. Les relations sociales sans interruptions nous épuisent mais en même temps, nous en sommes les esclaves (dixit).
Finalement, qui est Big Brother ? Impossible de le décrire, c’est vous, c’est moi, c’est eux, c’est nous. Dès lors que nous refusons de penser par nous-même et que nous acceptons notre sort, alors inconsciemment nous cautionnons le Parti Unique. Koestler dans « Le zéro et l’infini » fait dire à Roubachof : » …L’opposition est battue et exterminée. Si je me demande aujourd’hui : pourquoi meurs-tu ? je me trouve en face du néant absolu. Il n’y aurait rien qui vaille la peine de mourir, si l’on mourrait sans se repentir et sans se réconcilier avec le Parti et le Mouvement. C’est pourquoi au seuil de ma dernière heure, je fléchis les genoux devant le pays, les masses et tout le peuple ». L’attitude de facilité que nous devons rejeter au final pour éviter la soumission totale.
Chacun se fera son opinion bien évidemment en lisant ce livre. Laurent Obertone, à travers une enquête structurée, avec des phrases accrocheuses et punchy, met à jour des travers dans lesquelles nous nous complaisons. Tout le monde en prend pour son grade, personne n’est épargnée. Plus qu’une enquête, l’auteur cherche à nous mettre en garde en faisant un état des lieux de la France actuelle en parallèle avec la dystopie. L’écrivain met « le doigt là où ça fait mal » malgré quelques lieux communs.
Troublant, dérangeant, dubitatif, chacun y trouvera son compte à la lecture.
"Un palmarès se construit sur la passion des autres, on dépend de l'anonymat et de la passion partagée d'une écurie...." Jacky Ickx


Dark Hors ligne


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Messagede Dark » Mar 3 Mar 2015 22:07

Très bien ça



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