La Mort du Loup - Alfred de VIGNY

Modérateurs: Xaneaze, Antoine

La Mort du Loup - Alfred de VIGNY
Dark Hors ligne


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Messagede Dark » Mer 11 Jan 2012 09:35

"Les nuages couraient sur la lune enflammée
Comme sur l'incendie on voit fuir la fumée,
Et les bois étaient noirs jusques à l'horizon.
Nous marchions sans parler, dans l'humide gazon,
Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,
Lorsque, sous des sapins pareils à ceux des Landes,
Nous avons aperçus les grands ongles marqués
Par les loups voyageurs que nous avions traqués.
Nous avons écouté, retenant notre haleine
Et le pas suspendu. -- Ni le bois, ni la plaine
Ne poussait un soupir dans les airs; Seulement
La girouette en deuil criait au firmament;
Car le vent élevé bien au dessus des terres,
N'effleurait de ses pieds que les tours solitaires,
Et les chênes d'en-bas, contre les rocs penchés,
Sur leurs coudes semblaient endormis et couchés.
Rien ne bruissait donc, lorsque baissant la tête,
Le plus vieux des chasseurs qui s'étaient mis en quête
A regardé le sable en s'y couchant; Bientôt,
Lui que jamais ici on ne vit en défaut,
A déclaré tout bas que ces marques récentes
Annonçait la démarche et les griffes puissantes
De deux grands loups-cerviers et de deux louveteaux.
Nous avons tous alors préparé nos couteaux,
Et, cachant nos fusils et leurs lueurs trop blanches,
Nous allions pas à pas en écartant les branches.
Trois s'arrêtent, et moi, cherchant ce qu'ils voyaient,
J'aperçois tout à coup deux yeux qui flamboyaient,
Et je vois au delà quatre formes légères
Qui dansaient sous la lune au milieu des bruyères,
Comme font chaque jour, à grand bruit sous nos yeux,
Quand le maître revient, les lévriers joyeux.
Leur forme était semblable et semblable la danse;
Mais les enfants du loup se jouaient en silence,
Sachant bien qu'à deux pas, ne dormant qu'à demi,
Se couche dans ses murs l'homme, leur ennemi.
Le père était debout, et plus loin, contre un arbre,
Sa louve reposait comme celle de marbre
Qu'adorait les romains, et dont les flancs velus
Couvaient les demi-dieux Rémus et Romulus.
Le Loup vient et s'assied, les deux jambes dressées,
Par leurs ongles crochus dans le sable enfoncées.
Il s'est jugé perdu, puisqu'il était surpris,
Sa retraite coupée et tous ses chemins pris,
Alors il a saisi, dans sa gueule brûlante,
Du chien le plus hardi la gorge pantelante,
Et n'a pas desserré ses mâchoires de fer,
Malgré nos coups de feu, qui traversaient sa chair,
Et nos couteaux aigus qui, comme des tenailles,
Se croisaient en plongeant dans ses larges entrailles,
Jusqu'au dernier moment où le chien étranglé,
Mort longtemps avant lui, sous ses pieds a roulé.
Le Loup le quitte alors et puis il nous regarde.
Les couteaux lui restaient au flanc jusqu'à la garde,
Le clouaient au gazon tout baigné dans son sang;
Nos fusils l'entouraient en sinistre croissant.
Il nous regarde encore, ensuite il se recouche,
Tout en léchant le sang répandu sur sa bouche,
Et, sans daigner savoir comment il a péri,
Refermant ses grands yeux, meurt sans jeter un cri.

J'ai reposé mon front sur mon fusil sans poudre,
Me prenant à penser, et n'est pu me résoudre
A poursuivre sa Louve et ses fils qui, tous trois,
Avaient voulu l'attendre, et, comme je le crois,
Sans ses deux louveteaux, la belle et sombre veuve
Ne l'eut pas laissé seul subir la grande épreuve;
Mais son devoir était de les sauver, afin
De pouvoir leur apprendre à bien souffrir la faim,
A ne jamais entrer dans le pacte des villes,
Que l'homme a fait avec les animaux serviles
Qui chassent devant lui, pour avoir le coucher,
Les premiers possesseurs du bois et du rocher.

Hélas! ai-je pensé, malgré ce grand nom d'Hommes,
Que j'ai honte de nous , débiles que nous sommes!
Comment on doit quitter la vie et tous ses maux,
C'est vous qui le savez sublimes animaux.
A voir ce que l'on fut sur terre et ce qu'on laisse,
Seul le silence est grand; tout le reste est faiblesse.
--Ah! je t'ai bien compris, sauvage voyageur,
Et ton dernier regard m'est allé jusqu'au coeur.
Il disait: " Si tu peux, fais que ton âme arrive,
A force de rester studieuse et pensive,
Jusqu'à ce haut degré de stoïque fierté
Où, naissant dans les bois, j'ai tout d'abord monté.
Gémir, pleurer prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t'appeler,
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler."


Dark Hors ligne


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Messagede Dark » Mer 11 Jan 2012 10:03

Duch, le bourreau qui aimait la poésie‎

Sous le régime Khmer rouge, Kaing Guek Eav, dit Duch, a dirigé la prison M13 pendant 4 ans, avant d'être nommé à la tête du S21, la terrifiante machine à éliminer les opposants au pouvoir en place. Quelque 12280 Cambodgiens y trouvèrent la mort. En juillet 2010, Duch fut le premier dirigeant Khmer à comparaître devant une cour de justice pénale internationale, qui le condamna à 35 ans de prison. Il fit appel du jugement. Alors que Duch attend son nouveau procès, Rithy Panh l'a longuement interrogé et a recueilli sa parole...

Dans le formidable documentaire que consacre Rithy Panh au célèbre tortionnaire khmer, ce «Maître des forges de l’enfer» lit Stéphane Hessel, cite Balzac et récite des alexandrins de Vigny. Glaçant.

faut se méfier des enfants qui travaillent trop bien à l’école. Un élève très appliqué peut faire un tortionnaire particulièrement inquiétant. Voyez plutôt le sinistre Kaing Guek Eav, alias Duch, qui a dirigé sous Pol Pot le centre de détention S-21, à Phnom Penh, entre 1975 et 1979. Bilan officiel: plus de 12.000 morts.

Dans le nouveau chef-d’œuvre de Rithy Panh, qui a survécu aux camps des Khmers rouges mais y a perdu ses parents, Duch crève l’écran. Face caméra, il manipule les listes et les photos de ses victimes avec des précautions de bureaucrate maniaque. Il explique avoir endoctriné des gamins pour former des bourreaux dignes de confiance. Il se rappelle avoir ordonné qu’on récupère le sang des femmes pour secourir les soldats du Kampuchéa démocratique. Il part d’un rire sourd, qui semble celui d’un démon indéchiffrable, lorsqu’il est acculé par le témoignage d’un de ses anciens sbires. Et les rares moments où il paraît à deux doigts d’éprouver une sorte de remords, sont: ) celui où il admet n’avoir pas fait grand-chose pour épargner la torture à celle qui fut son institutrice; ) celui où il dit avoir transformé un lycée en lieu de supplice.

Duch et ses lectures

C’est qu’à défaut d’avoir beaucoup de considération pour la vie humaine, Duch a du respect pour le savoir. Lui qui affirme n’avoir voulu sauver personne à S-21 n’avait-il pas bizarrement épargné, en 1971, l’anthropologue François Bizot après soixante-dix-sept jours de détention? Le film de Rithy Panh le montre admirablement: ce fonctionnaire de la police khmère rouge, dont la mission consistait à «interroger», «torturer» et «détruire» ses prisonniers, présente aussi toutes les apparences de l’honnête homme cultivé.

On ne le voit pas seulement relire les glaçants haïkus de la vulgate de Pol Pot («Seul un enfant qui vient de naître est pur») ou citer, en français dans le texte, «la Démocratie nouvelle» de Mao Zedong («Le véritable amour du peuple, c’est de donner aux prolétaires la possibilité d’exercer la dictature»). Il a absorbé les théories de Lénine et Marx, dont il a retenu qu’il n’est «aucune conception sans empreinte de la classe». Il connaît les enseignements de Bouddha («votre karma résulte de vos actes»); ce qu’il appelle le «verset 32» de la Bible (promettant selon lui le pardon divin à qui l’implore); et même la Déclaration des Droits de l’Homme, cet évangile moderne dont l’article 1 proclame que «tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits.»

Il faut se rendre à l’évidence: l’homme qui a accepté de parler à Rithy Panh est un enfant de l’école coloniale, un gardien de l’ordre très consciencieux qui a adopté la phrase de Balzac: «Les régimes périssent, les gouvernements passent, la police est éternelle.»

Et l’on comprend que le cinéaste, dans le générique final de son film, glisse deux vers de René Char pour ne pas laisser à son personnage le monopole de la littérature: «Ne te courbe que pour aimer / Si tu meurs, tu aimes encore.»




En français dans le texte

Dans sa cellule, où il entretient son corps en pratiquant la gymnastique et en mangeant de bon appétit, Duch n’oublie pas de nourrir son âme. Il fait la chasse aux souvenirs encombrants en se plongeant dans un livre de Stéphane Hessel intitulé «Ô ma mémoire – la poésie comme nécessité». C’est son point commun avec l’ancien résistant: il est capable de réciter les beaux alexandrins de la culture humaniste. Et comme au premier jour de son procès, ce francophile raffiné ne manque pas ici de convoquer «la Mort du loup», d’Alfred de Vigny, pour justifier tout ce qu’il a été:

« Gémir, pleurer, prier est également lâche
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t’appeler
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler.»

Il n’est pas exclu que cet intermède poétique soit aussi l’un des moments les plus terrifiants de ce portrait du «Maître des forges de l’enfer».



J'ai voulu rendre hommage à
La famille ,survivants et disparus , de ma femme qui a perdu plus de la moitié
De sa famille (soit 4 rescapés sur 11) ...Dans ce génocide

Son salut avoir un père officier de marine et une terre d’accueil
La FRANCE .......les USA ...le CANADA..

Entre 1975 et 1979, le régime des Khmers rouges a causé la mort
d'environ 1,8 million de personnes, soit un quart de la population du Cambodge.

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